Lettre ouverte de la Présidente

Réforme du lycée : conséquences et symptômes

Le 25 novembre dernier à Bordeaux et le 15 janvier à Toulouse, services du rectorat, collectivités territoriales, syndicats, et associations œuvrant au développement de l’enseignement des langues régionales, se sont réunis à l’occasion du conseil académique des langues régionales. Les deux premiers conseils depuis la mise en place de la réforme du lycée et du baccalauréat, et donc l’occasion d’en tirer un premier bilan.

L’Office public de la langue occitane a pu, pour la première fois, obtenir des quatre rectorats concernés (Bordeaux, Limoges, Toulouse, Montpellier) l’ensemble des chiffres correspondants aux effectifs et aux heures d’enseignement dans les différents niveaux. Il nous semblait en effet essentiel de pouvoir mettre en regard une situation académique par rapport à une autre, plus particulièrement quand il s’agit d’évaluer les premiers effets d’une réforme nationale.

Si l’on s’en tient au 2nd degré – je ne parle pas d’humour malheureusement – nous constatons une augmentation des effectifs en collège dans les académies de Bordeaux et de Limoges, mais une très forte chute dans l’académie de Montpellier, tandis que ceux en lycée chutent clairement cette année, et ce, sur les trois académies ayant le plus fortement développé l’offre d’enseignement (Bordeaux, Montpellier et Toulouse).

Et si certains esprits soucieux de minimiser la situation parlent d’une chute « habituelle » entre le collège et le lycée, qui n’aurait donc rien de particulièrement signifiant en cette rentrée, cet argument ne tient pas à l’aune des statistiques. Si la baisse est certes moins spectaculaire sur l’académie de Bordeaux, elle est tout de même plus importante que les années précédentes, et elle est brutale dans les académies de Toulouse et Montpellier. Evidemment, il faut être prudent sur une première rentrée, surtout quand les modalités de la réforme ont été tardives. Il y a un temps nécessaire de « digestion ». Malheureusement, il est fort à parier que le temps ne jouera pas en notre faveur.

Le ministère nous avait présenté cette réforme comme une chance, s’accrochant sans doute à cette maigre concession de dernière minute : « l’enseignement de spécialité » ; 7 heures d’enseignement au lieu de 3, nul doute que nous y gagnerions, aussi sûr que 2 et 2 font 4.

Seulement, et nous n’avions cessé d’alerter sur l’insuffisance de cette opportunité en trompe-l’œil, avec une mise en concurrence inédite des enseignements, il semble que les parents et élèves n’aient pas trouvé leur chemin vers l’équation simplissime du ministère.

Aujourd’hui, devant le constat évident que cette réforme a dégradé les effectifs en lycée, nous nous voyons brandir une nouvelle chance « à saisir » : l’occasion d’être innovant, d’être « disruptif », réfléchir pour rendre cet enseignement plus attractif. Je connais trop bien ce discours – « faire mieux avec moins » – qui n’a d’objectif que de justifier une société de la concurrence, parce que de la concurrence sortira la vérité, sortira le meilleur choix pour le consommateur. Mais souhaitons-nous que nos élèves soient des consommateurs ?

Evidemment que nous continuerons à faire la danse du ventre, mais cet entêtement dans une réforme dramatique pour les langues régionales dit deux choses de nos désaccords avec le cap actuel de l’éducation nationale.

La première, c’est une conception du développement pédagogique de l’enfant, et du rôle de l’apprentissage des langues régionales pour la citoyenneté. Sans entrer dans une grande démonstration, apprendre une langue de territoire, c’est expérimenter et connaître en profondeur l’endroit où l’on vit, s’y attacher, apprendre la différence qui existe ici, pour mieux l’accepter et la comprendre quand elle vient d’ailleurs. En un mot comme en cents, il me semble qu’il s’agit de répondre à l’une des missions essentielles de l’école de la République : apprendre à nos enfants le vivre-ensemble, au sein d’une communauté nationale traversée de diversité.

La seconde, c’est de considérer que le développement de l’enseignement des langues régionales répond à des objectifs bien plus larges. Nous arguons que cet enseignement doit faire l’objet d’un traitement particulier, parce que ces langues sont menacées de disparition, contrairement à d’autres langues ou d’autres disciplines. Or, à aucun moment, la sauvegarde des langues régionales n’est apparue comme un objectif valable pour le ministère de l’éducation nationale.

Ainsi, cette réforme révèle surtout à quel point la sauvegarde des langues régionales est un impensé de l’État. Aucune stratégie réelle, aucune feuille de route, aucun pilote.

Je ne suis pas loin de penser que la nature même de ces langues – parce qu’elles sont « de territoire » et ne sont donc pas uniformément présentes dans le pays – sont un obstacle : la culture politique française est bien plus emprunte de la notion d’égalité que d’équité, et il semble qu’il soit particulièrement difficile pour certains d’y trouver une notion d’intérêt général, plutôt que d’intérêt particulier à des communautés linguistiques.

D’ailleurs, beaucoup de représentants de l’État nous renvoient à une “gestion en territoire”. C’est vite oublier que la décentralisation n’est encore que très partielle dans notre pays, et prendre le risque de l’incohérence la plus destructrice.

Preuve en est, la réforme du baccalauréat et du lycée, qui sape et contredit tous les efforts, y compris ceux menés avec les services déconcentrés de l’État, pour intensifier la transmission par l’école.

 

Charline Claveau-Abbadie

Présidente de l’Office public de la langue occitane

Conseillère régionale Nouvelle-Aquitaine, déléguée aux langues et cultures régionales

 

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